Longue journée aujourd’hui, départ 8h00, arrivée 17h.
Très bel itinéraire comme d’habitude et beaucoup de choses intéressantes.
Journée belle et sèche, température incroyable, 18° à 13h à 600 mètres d’altitude.
Faits remarquables :
- le passage à Moyenmoutier où se trouvait Fernand le 11 novembre 1918 lors de l’annonce de l’armistice, et je mets ci-dessous 4 lettres de Fernand, une 8 novembre, deux du 10 novembre, et celle du 11 novembre.
- le passage à La Fontenelle, site d’une grande bataille en 1915, la bataille de La Fontenelle
- le passage à Breitenbach, où la compagnie 10/13 cantonna le 17 novembre après être passé par Bourg-Bruche et Steige. Il se trouve que Chantal et moi, en voyage à vélo en 1998, nous avions été invités par mon ami Jean-Michel à l’anniversaire de ses 45 ans à Breitenbach, dans la maison de ses parents. Jean-Michel, écolo, cycliste, engagé dont j’avais fait la connaissance dans notre école d’ingénieurs, l’ENSM à Nantes.
Demain dernière étape !
Secteur 105 – le 8 novembre 1918
Mes chers parents,
Je voudrais finir la guerre ici. Nous y sommes comme des coqs en pâte. Je suis superbement logé en une chambre proprette et gaie, couchette confortable me permettant de me déshabiller la nuit.
Comme travail, juste de quoi m’occuper sans fatigue. Le rêve quoi. Le soir distraction de toute espèce. Ainsi ce soir je vous écris du foyer du soldat, un établissement américain monté de très agréable façon. Lectures, jeux divers, écriture, tapotage de piano, chacun peut y passer le soirée à sa guise. Les habitants sont très affables et sympathiques.
Je me souviendrai longtemps de notre arrivée ici, car nulle part je n’ai vu cela (et pourtant je commence à avoir traîné mes bottes en pas mal de places). C’était un matin gris et brumeux tel que ce pays en connaît souvent. Nous avions une bonne trentaine de kilomètres dans les pattes et l’as de carreau commençait à peser un peu en arrière. (Il faut dire qu’avec nos couvertures et vêtements d’hiver récemment touchés nous sommes chargés tels des mulets). Bref nous apercevions déjà en bas de la vallée les toits rouges de Moyenville au travers la verdeur des sapins quand toute une colonie de jeunesse débouche d’un chemin et nous assaille de marque d’amitiés et de questions. « C’est bien Moyenville que vous allez ? Vous allez y rester longtemps ? Ah tant mieux ! Etc, etc …
Le plus grand de la bande, un mâle (mioche?) de dix à onze ans me demande en grâce de lui laisser porter mon sac. Près de 20 kg pour ces petites épaules, j’hésite, puis sur son insistance je lui boucle derrière l’aisselle. En autre prend mon fusil et mon casque et voilà toute la bande joyeuse ravie de jouer au soldat. Une vieille est sur le pas de sa porte dans la première maison du bourg. « Vous allez loger ici ? Ah tant mieux ? Ça va au moins nous changer un peu !!!
Il faut que je vous dise que nous remplaçons une division de Polonais et ceux-ci étant parait-il très peu sympathiques. Ivrognes (comme des Polonais) batailleurs et sales. Dégoûtants étant leurs qualités dominantes. Voilà le principal motif de l’accueil si aimable dont nous sommes l’objet.
Je reçois tout à l’heure une lettre de maman. Donc demoiselle Blanche consent à bien vouloir se laisser guérir c’est fort bien de sa part. Je la félicite de ce bon mouvement et lui recommande de persévérer.
Je trouve tout de même, maman, que tu es bien difficile. Tu trouves que ça ne marche pas si vite que ça. Pas si vite que le mois dernier. Fichtre, mais c’est que tu es difficile, toi. Et que te faut-il donc ? Et ton chemin des dames, tu l’as pourtant ?
Je vous embrasse
Fernand »
Secteur 105 – le 10 novembre 1918
« Mes chers parents,
On nous prévient aujourd’hui que beaucoup de lettres et cartes postales illustrées pointant indications du lieu de résidence ont été confisquées. Comme je me trouve en ce cas-là je ne veux pas risquer de vous laisser sans nouvelles et bien qu’hier et les deux jours précédents je vous ai envoyé lettre ou carte je vous répète que je suis au mieux en un coin tranquille et que j’y voudrais bien finir la guerre.
La verrons-nous arriver bientôt cette fameuse paix tant désirée. Je crois qu’il ne faut pas trop s’emballer en de beaux espoirs et qu’il est plus sage pour moi d’attendre ma prochaine permission avant de penser à autre chose.
Aujourd’hui j’ai expédié à papa un colis dont voici le détail : 1 flanelle, 1 paire de chaussettes (sales et trouées) 5 paquets de gris et 2 de bleu et trois d’américains. Le poids m’a empêché d’en mettre davantage mais dans quelques jours je pourrai remettre ça. Ici l’article ne manque pas.
Je vous embrasse
Fernand
NB Les effets que j’envoie ne sont pas à remplacer.
J’aime à croire que Blanche continue à se bien conduire. »
Secteur 105 – le 10 novembre 1918
« Mes chers parents,
C’est dimanche et il fait soleil. Je suis assis à califourchon sur le parapet de granit qui borde le petit ruisseau. A ma droite celui-ci cascade et clapote bruyamment. Je ne sais pourquoi ma pensée me porte vers notre bon petit cours d’eau yonnais et vraiment je dois avouer que ce dernier n’a rien à gagner à la comparaison. L’un stagne pour ainsi dire et l’autre bouillonne. Celui-là est trouble et vaseux, celui-ci clair et limpide. Le Vendéen semble paresseux fatigué, le vosgien est pressé d’arriver. Il est à peine né, puisque sa source sort du haut de la montagne toute proche et il a déjà actionné plusieurs usines scieries filatures, mais d’autres besognes l’attendent et il va, impétueux, sautant bravement par dessus de gros blocs qui prétendent entraver son cours et entraînant avec lui les galets plus petits qui voulaient aider les gros blocs à lui barrer le chemin.
N’importe ! Petit ruisseau lorrain malgré toutes tes qualités, en dépit de tous tes charmes, je te quitterai avec plaisir, bientôt. D’autres, qui comme moi attendent le grand jour de la paix te retrouveront avec bonheur et moi je vais revoir mon ruisseau vendéen parce que c’est là-bas que m’attendent des affections, des affaires et un foyer et que ces choses-là vois-tu sont nécessaires à une existence.
A ma gauche c’est la promenade du pays et c’est une allée et venue continuelle.
D’abord les gens de Moyenmoutier, des femmes surtout puisque les hommes jeunes sont absents et que les vieux sont peu prodigues de pas inutiles.
Les jeunes femmes sont très coquettes et je leur en sait gré. Elles sont habillées à la parisienne. L’été elles doivent probablement porter des fourrures mais comme l’air est frais et piquant elles ont le col nu et bien dégagé près des épaules. Jupe courte que chaque pas fait balancer harmonieusement, jambes gainées de cuir, très haut comme il sied.
Et cela s’explique. Le cuir est hors de prix. De quoi voulez-vous qu’ait l’air une personne qui se respecte avec des petits souliers bas de rien du tout !!
Voyons il faut se mettre à la portée des choses !!!
Les « anciennes » ne portent pas la coiffe non plus, mais une sorte de coiffure qui leur couronne entièrement la tête telle que grand’mère en portait et qu’elle appelait son chapeau. En voilà une bonne vieille toute ridée toute ratatinée qui de sa dextre serre contre son sein un gros missel à fermoir en cuivre. Elle s’en va aux vêpres et doit être en retard, car, de sa main libre elle traîne plutôt qu’elle mène un amour de bébé qui sautille drôlement et trébuche sans cesse. C’est à mourir d’embrasser ça de force. Deux doigts de cotillon sur deux petites jambes qui trottinent. Là-dessus un petit bout de nez rose retroussé au milieu d’une touffe de boucles dorées.
Les deux extrémités de la vie. Une qui arrive, l’autre qui va s’en aller. Laquelle des deux est à envier ?
Puis ce sont les poilus. Personne ne travaille aujourd’hui et le secteur est si tranquille que peu de monde est nécessaire en lignes. Je crois voir à peu près nos soldats du bon temps de paix par groupe de trois ou quatre ils vont tout doucement les mains derrière le dos, parlant peu et s’intéressant encore moins à la beauté du site.Tristesse en pensant à ceux qui pleurent un disparu
Devant le grand magasin du pays tout un attroupement admire l’étalage. Si vous leur demandiez ce qu’ils font là, ils vous répondraient étonnés par votre question qu’ils attendent cinq heures pour aller manger la soupe.
Mais tout ce monde là : bonne vieille, belle jeunesse et poilus ont le sourire, toutes les mines sont réjouies et j’en sais la cause, car il y a vraiment de quoi avoir le cœur en fête. Je viens de lire les nouvelles en leur merveilleux détail et j’avais peine tout à l’heure à en croire mes yeux. Ce Kaiser est en fuite, l’allemand en révolution. Mais alors !!! Mais c’est l’armistice tout proche et certain. Mais alors c’est la paix bientôt !!!
Et maman qui trouve que ça ne marche pas vite ! Pas si vite que le mois dernier. Mais en effet maman ça ne marche plus du tout !!! ça court, ça vole et ça se précipite. Vous allez voir que ça va me jouer un tour. Voyez-vous qu’ils ne me laissent pas le temps de jouir de ma permission en janvier et qu’ils signent la paix avant. Voilà bien ma chance !!
Tristesse en pensant à ceux qui pleurent un disparu
Comme je m’aperçois que je commence à dire des bêtises je m’arrête.
Et je vous embrasse
Fernand »
Secteur 105 – le 11 novembre 1918
« Mes chers parents,
Toutes les mines sont réjouies. Un air de fête nous anime tous. L’armistice est signé !!!!!!
Ce n’est pas encore la paix, mais cette fois nous la tenons. Le boche est vaincu, humilié et il attend nos conditions en faisant chez eux la révolution après avoir chassé leur Kaiser. Notre pensée a peine à croire la réalité de si belles choses tellement ces jours derniers ont précipité les évènements.
Tout à l’heure le garde champêtre du pays, un vieux bonhomme, à grand son de tambour a annoncé la nouvelle à ses compatriotes les invitant à pavoiser. Et sa voix était si chevrotante que je crois bien qu’il pleurait. Maintenant les cloches : muettes depuis 4 années sonnent à toute volée et leur joyeux écho se répète de l’autre côté de la vallée.
Et comme la tristesse se trouve partout même et surtout peut-être au milieu de nos grandes joies je ne puis pas penser que dans ce petit bourg le son joyeux du carillon résonne comme un glas au coeur de tant de bonnes gens qui pleurent un disparu. Il aurait été si content lui aussi le bon frère d’entendre cet air de victoire. Pourquoi faut-il , pourquoi lui plutôt qu’un autre !!!
Je vous embrasse
Fernand
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